La manifestation organisée vendredi 10 septembre 2010 par l’ensemble des acteurs de la filière BTP invite une nouvelle fois à nous poser la question du rapport au temps de certains décideurs politiques réunionnais hantés par la dictature électorale du court terme. Se maintenir au pouvoir ou préparer sa réélection future exige de satisfaire l’impatience de nos concitoyens au risque de piloter à vue et de ne pas anticiper les écueils potentiels futurs. Or, encore plus en 2010 que par le passé, je ne peux concevoir que gouverner signifie satisfaire uniquement l’urgence…certes, l’urgence impose des réponses permettant d’amortir l’impact du choc conjoncturel, mais l’urgence implique également de prendre des décisions aux portées structurelles pour qu’il n’y ait plus d’urgence à l’avenir. Finalement, faut-il uniquement s’efforcer de soigner ou, également, et surtout, de préparer notre territoire, notre société, nos acteurs pour qu’ils puissent se relever le plus rapidement après n’importe quelle chute. ? On n’invente rien de nouveau en disant cela puisqu’il est bien connu que prévenir vaut mieux que guérir. Ce type de gouvernance, on ne cesse de le répéter depuis plusieurs années, requiert de préparer La Réunion, de la doter des outils nécessaires pour qu’elle réponde aux défis futurs en matière de formation, de recherche et développement, de modalités diversifiées pour les transports et déplacements, de logements, d’accueil des personnes âgées, de maitrise de l’énergie, de gestion des ressources vitales,…Tous ces défis ne peuvent être relevés si nos décideurs n’acceptent pas une part de risque (eux aussi doivent en prendre !) : inclure dans leur programme une part de projets s’inscrivant dans le long terme et ce malgré le sentiment que les réunionnais voudraient tout et tout de suite…Mais, après tout, être décideur politique c’est aussi faire de la pédagogie. Pourquoi ce devoir de pédagogie, cette nécessité de prise en compte du long terme semblent être évidents pour la majorité qui défend le projet de réforme des retraites et ce même devoir, cette même nécessité seraient rejetés par les mêmes autorités (ou leurs alliés) lorsqu’il s’agit de projets territoriaux ?
Plus précisément, ce trou d’air béant que subit l’économie réunionnaise depuis deux ans était-il prévisible ?
En premier lieu, il suffit pour y répondre de revenir à la gestation de la Lodeom. Remettre en cause un outil de financement d’un pilier d’une économie sans l’avoir préparée à diversifier ses moteurs de croissance ne pouvait que l’amener à mal réagir. A ce moment de l’analyse, je rejette l’idée d’irresponsabilité de nos acteurs locaux puisque maintenant depuis presque six ans plusieurs d’entre nous (entrepreneurs, acteurs de la société civile et politiques) nous sommes investis dans autant de réflexions sur l’avenir de La Réunion avec comme feuille de route la nécessité de prévoir l’après modèle traditionnel bi-polaire agro/btp pour compléter le fonctionnement actuel de l’économie réunionnaise par les nouveaux domaines d’activités stratégiques (environnement, TIC, tourisme durable, R&D, ouverture…). Conscient de la fragilité de notre tissus sociétal et économique, le passage à la nouvelle étape (synthétisée dans la Stratégie Régionale d’Innovation) exigeait une avancée en douceur et non pas un remède de cheval digne des plans de stabilisation du Fmi. Or, pour me souvenir d’une règle d’or, l’économie a surtout besoin de lisibilité, de stabilité, de confiance en les règles adoptées et non pas de remises en cause permanente. Et si des modifications sont nécessaires, alors, cela doit être réalisé en posant tous les enjeux sur la table et conduit avec concertation sans arrières pensées idéologiques ou électorales comme seules fin.
En second lieu, cet arrêt brutal ne pouvait être qu’accentué par une certaine forme de cécité : l’aveuglement que prendre démocratiquement le pouvoir peut s’effectuer à n’importe quel prix. Et pour que les choses soient claires loin de moi l’idée de mettre une hiérarchie entre les projets des majorités successives ! Bon nombre d’entre-eux me semblent vouloir aller avec des modalités différentes dans le sens du bien commun. Il s’agit juste de la conviction que d’autres alternatives auraient pu être empruntées permettant de critiquer, d’avancer ses idées, tout en s’appuyant sur la nécessité d’une certaine forme de continuité au seul motif de l’intérêt supérieur de La Réunion. Et en prenant le risque d’expliquer aux réunionnais que les projets futurs aussi grands et justifiés soient-ils ne pourront plus être financés aussi facilement que par le passé mais par un effort supplémentaire des résidents…l’ère de l’argent ou de la solidarité nationale totale étant révolue. Plutôt que de nourrir une vision anxiogène de l’avenir, une pédagogie de la confiance aurait due être entreprise. Cette conception alternative nous aurait sans doute éviter d’accentuer la saillie dans la commande publique…moteur encore malheureusement trop important de notre économie.
Au total, il m’apparait clairement que nous ne pourrons pas édifier un nouveau modèle de développement pour La Réunion si l’horizon des visions et des ambitions se compte en mois et non en décennies. C’est dans cette capacité à s’inscrire dans le temps que se conjugue notre capacité à produire un développement durable pour les réunionnais. Cette exigence constitue pour nos élus dans leur ensemble peut être le plus grand défis qu’ils ont aujourd’hui à relever. Dans les mois et les années à venir, ils auront à faire rimer solidarité et efficacité, à se lancer à la recherche du temps long perdu. Sinon, les électeurs finiront aussi par se lasser de ceux qui ne font que communiquer ou se focaliser sur le court terme. Abattus, désœuvrés, ils seront de plus en plus nombreux à se laisser séduire par d’autres formes de revendications qui ne permettent ni de construire la paix sociale, ni de garantir l’émergence d’un modèle de développement durable auto-entretenu.