Les enjeux de l’Université de La Réunion exigent le retour de la confiance, du respect du débat et la mobilisation de tous les acteurs de la communauté universitaire !


IMG_0118Quel triste spectacle nous a encore offert l’Université de La Réunion, à l’aube   de la cruciale période des inscriptions. Une fois de plus, un membre de la société civile, député de la République, a constaté la situation alarmante de notre principal établissement d’enseignement supérieur. Une fois de plus, le Président de l’Université a mobilisé, en guise de réponse, un poncif inondé de statistiques faisant d’une catégorie de bacheliers le réceptacle à tous nos maux et apparaissant ainsi comme l’arbre principal masquant une forêt de dysfonctionnements ou d’échecs subtilement ignorés. De même, au cours d’une nouvelle interview, il en a profité pour stigmatiser ou égratigner qui de tels acteurs politiques, vus comme ignorants ou intéressés, qui de telle collectivité, qui de tels membres de la communauté réduits au simple rang, de « quelques irréductibles » ou de « mis en examen » suite à une de ses plaintes. Bonjour l’ambiance…!

Mais, cette posture est-elle à la hauteur des questions et des enjeux posés par la société réunionnaise à l’endroit de l’Université de La Réunion ? Non bien sûr ! Le contexte exige au contraire de rassembler, faire bloc et mobiliser ! Car, plusieurs interrogations demeurent au sein d’une communauté désabusée et usée par tant d’approches centralisatrices et autoritaires

D’abord, les faits sont têtus. Après plus de 10 ans aux responsabilités le Président actuel ne peut feindre d’ignorer ses propres choix. 10 ans de rapports de forces, de luttes intestines, de conflits, d’évolutions à marche forcée vers de nouvelles normes nationales adoptées sans véritables réflexions stratégiques à la hauteur des enjeux territoriaux. 10 ans d’une méthode de gouvernance qui, le moins que l’on puisse dire, a démobilisé les troupes, n’a pas permis de prolonger ce lien de fierté qui existait jadis entre l’Université et son territoire jusqu’au milieu des années 2000. Alors qu’autrefois, l’Université de La Réunion avait un projet territorial et était en croissance, elle a, depuis 10 ans, échoué à prolonger cette haute ambition. Elle constate dorénavant l’effritement de son offre de formation en ayant comme principaux fondements une approche comptable et une politique de mobilité au dos large.

Ensuite, le rôle et l’environnement de l’Université de La Réunion, devenue autonome, ont eux aussi connu de profondes mutations depuis 10 ans. A l’époque, unique établissement d’enseignement supérieur post-deug (ou BTS) et principal acteur de la recherche, l’Université de La Réunion est aujourd’hui concurrencée sur tous les fronts. Sur sa mission de service public d’enseignement supérieur, elle est aujourd’hui exposée à de nombreux concurrents privés qui bien souvent ne se battent pas avec les mêmes contraintes économiques, peuvent user d’une sélection et menacent certaines filières…Cette menace vient aussi de l’extérieur, puisque l’ile Maurice, entend devenir le « knowledge hub » de l’océan Indien. Sur sa mission de recherche, le contexte a également fortement évolué. La raréfaction des moyens, les stratégies européennes, les exigences des territoires conduisent les chercheurs à revisiter leurs métiers. Le parcours de recherche à l’époque inscrit dans un silo protecteur ministériel, doit maintenant être conçu de façon ouverte, multimodale et en réseau. De même, les rôles de nouveaux acteurs clés, comme les collectivités et les entreprises, s’affirment.

Dans ce contexte, plusieurs grandes mutations doivent concerner, tout en les conjuguant, management opérationnel (conduire les affaires courantes de l’établissement) et management stratégique (projeter l’Université sur ses grandes fonctions pour le développement du territoire et le rayonnement de la recherche européenne dans l’océan Indien et dans le Monde).

D’une part, concernant le management opérationnel, les rapports successifs ont souligné la nécessité d’un apaisement pour remobiliser en interne une communauté universitaire démobilisée et en externe les partenaires enlisés dans une perte de confiance. Une autre gouvernance est possible. Une autre vision des rapports humains est souhaitable. Une co-responsabilisation est nécessaire avec l’ensemble des facultés, instituts, écoles sans oublier le CHU. Certes, l’autonomie de l’Université exige des outils de pilotage adaptés et un renforcement de la maitrise de l’information comptable mais cela ne signifie ni centralisation excessive, ni défiance envers les acteurs. Cette reconstruction de la confiance doit aussi s’appuyer sur un respect scrupuleux des règles. L’arbitraire et le calcul ne doivent plus être de mise.

D’autre part, concernant le management stratégique, le premier enjeu, que nous appelons depuis plusieurs années maintenant en interne, est la convocation dès 2016, des états généraux de l’enseignement supérieur à La Réunion face à la nouvelle donne démographique : qui ? Doit faire quoi ? Et, quelles grandes missions doivent être dévolues à l’UR ? Sur cette base, pourrait s’appuyer toute la réflexion conduisant à la construction partagée du futur schéma régional de l’enseignement supérieur et de la recherche. Les conditions à cette réflexion sont bien sûr que l’Université de La Réunion reconnaisse aussi n’être dorénavant qu’un des coproducteurs de la formation dans le supérieur et qu’elle accepte de faire du territoire élargi un axe prioritaire d’engagement dépassant les simples déclarations d’intention. Un engagement doit être tangible et exige de la visibilité au-delà de quelques projets isolés.

Cette première étape réalisée, permettrait d’envisager, pour 2017, à l’instar « d’un plan Marshall », un nouveau schéma de financement mobilisant de façon responsable tous les acteurs : l’Etat et l’Académie, les collectivités, les acteurs économiques et l’Université de La Réunion. Celle-ci s’engagerait ainsi sur un nouveau contrat territorial inscrivant un apport de moyens mobilisés auprès des partenaires comme la contrepartie de son utilité territoriale (enseignement, dispositifs d’aides à la réussite et d’insertion à la hauteur des enjeux, recherche, aménagement du territoire, innovation, entrepreneuriat, expertises, ouverture sur le territoire et la grande zone OI). Il y va de la compétitivité de l’économie réunionnaise qui ne peut envisager son futur sans une université impliquée et dynamique. En outre, l’Université de La Réunion ne peut plus se contenter d’être un « simple faire valoir » pour d’autres institutions nationales de recherche. Un meilleur retour sur investissement doit être exigé. De même, à un niveau plus local, l’Université doit prendre toute sa part dans la constitution de villes universitaires qui font la fierté et la compétitivité des villes agiles, innovantes et attractives dans le Monde. Or, notre Université trop souvent « off shore », ou cloisonnée dans ses campus, semble ignorer cette mission.

Au total, après dix années d’une gouvernance démobilisatrice et sans ambition, un renouveau semble nécessaire où le dialogue interne et externe doit pouvoir remplacer les défiances, recours, procès et plaintes comme seuls outils d’échange avec les parties prenantes. Bien plus que le maniement habile des statistiques, ce renouveau exige une capacité d’ouverture à l’autre, à la discussion, à la contradiction ! Quoi de plus normal dans une noble institution où penser, se contredire, contester et tolérer font normalement partie du génome de l’universitaire, rompu à la contradiction et en charge de l’éclairage de la société qui les finance à près de 130 millions d’euros.