La nécessité de la réforme ne doit pas cacher l’exigence d’équité !


En ce jour de septembre 2010, l’évènement en France est à n’en pas douter ceux de l’ouverture à l’Assemblée Nationale des débats sur la réforme des retraites et des manifestations (envisagées comme importantes) prévues un peu partout dans le pays. A La Réunion, la mobilisation a battu son plein à Saint-Denis comme à Saint-Pierre. Plusieurs milliers de personnes sont venues déclarer leurs inquiétudes diverses sur cette thématique des retraites. Prenons un peu de recul pour poser quelques éléments qui font débat et qui apparaissent au coeur des préoccupations d’une large part de nos concitoyens :

  • Le premier, et qui ne fait pas débat, est la nécessité d’une réforme afin de sauvegarder un régime par répartition mis à mal par les mutations socio-démographiques de notre société : la question qui demeure est quelle réforme ou comment réformer ?
  • Le deuxième (et quitte à se répéter) est la nécessité de sauvegarder le régime par répartition. On voit mal comment en pleine crise financière et boursière nos responsables pourraient miser notre avenir entièrement sur le régime par capitalisation. Cela n’écarte pas l’idée d’un possible mélange (il a déjà lieu) mais garantissant au moins un minimum ;
  • Le troisième valable au niveau national comme sur le plan local est de concevoir une réforme dont les sacrifices seront équitablement répartis. Si personne aujourd’hui en France ne doute qu’il faille adapter la France aux nouvelles dimensions internationales, ces mutations doivent cependant être savamment dosées pour maintenir le pacte républicain, la cohésion de la société et notre architecture sociale. En d’autres termes, il s’agit de dégager ce sentiment d’injustice qui plane au-dessus de la présente réforme. Plusieurs éléments viennent appuyer cette impression.
    • D’abord, l’apparence que seuls les salariés seront mis à contribution. Certes on peut comprendre que c’est au travailleur de s’assurer contre ce risque qu’est celui de la vieillesse et de ses vieux jours. Sauf que le travailleur ne génère pas uniquement que des salaires mais aussi des profits, bénéfices, dividendes et plus généralement des revenus du capital…Dans une société solidaire, il nous apparaît souhaitable que ce facteur, certes mobile, soit mis à contribution pour pallier au financement d’un des grands axes de notre société républicaine. Et puis n’oublions pas qu’à côté des salariés sont aussi concernés beaucoup d’artisans ou de petits entrepreneurs dont les situations sont également très préoccupantes notamment dans cette période de crise mais aussi lorsqu’on se projette sur le futur.
    • Ensuite, se pose le problème de la durée de cotisation et du recul de l’âge de départ à la retraite. Qui oserait s’élever contre l’argument : « comme nous vivons plus longtemps, nous devons travailler plus longtemps ». Cela est sans doute vrai. Mais cela pose plusieurs défis : passer de la dimension quantitative à la dimension qualitative. Ce n’est pas travailler plus mais plutôt travailler mieux ! En outre, A quoi cela sert-il de repousser l’âge de départ à la retraite si déjà, dans les âges d’aujourd’hui, le taux d’emploi des séniors est très faible par rapport à d’autres pays. Ainsi, optimisons déjà la force de travail actuelle (ce qui sous tend de la formation, de l’exigence auprès des entreprises,…) ce qui génèrera de nouvelles recettes…En fait, au-delà de l’argument facile, on comprend que modifier par la loi l’âge légal s’avère être plus pratique que d’entamer une vraie réforme de fond qui prendrait plus de temps et que nos différents responsables n’ont jusqu’ici jamais entreprise. En effet, seuls l’accroissement du taux d’emploi et la réduction du chômage conduira à augmenter de façon significative les recettes et de réduire les tentations à agir uniquement sur l’âge. Mais cela ne se décrète pas.
    • Enfin, pourquoi ne pas oser toucher à certains leviers fiscaux. On pense bien évidemment à la TVA. Sur ce plan l’argument fatal est l’injustice de cette forme d’impôt du fait de sa non progressivité. Mais, rien n’empêche de différencier certains secteurs (permettant d’épargner par exemple les produits de première nécessité et de taxer davantage les produits « polluant »). De plus, la TVA permettrait de renforcer sur le territoire national la compétitivité des produits domestiques.
  • Le quatrième est associé à La Réunion. L’actuel réforme pose en effet localement plusieurs soucis. Faire un simple copier-coller du projet débattu à l’assemblée ne serait pas sans danger.
    • D’une part, toute réforme, quelle qu’elle soit doit se préoccuper du long terme pour La Réunion et sauvegarder, voir construire notre paix sociale. Or dans le contexte de notre île, où une grande part de la population active est encore au chômage, cette réforme risque de conduire pour plusieurs décennies un grand nombre de réunionnais au minima, si ceux-ci sont maintenus. Face à de telles perspectives moroses (votre avenir serait fait sur le court terme du chômage et sur le moyen et long terme de revenus indécents), le risque de dislocation grandit dans une île comptant bientôt un million d’habitants.
    • D’autre part, et de façon concomitante, les dispositifs en termes d’âge semblent être ici sans effet puisque le taux de chômage actuel important réduit fortement le nombre d’annuités ou serait sans effet pour une large part de la population concernée par une chômage structurel et de long terme. C’est un peu comme les réductions fiscales. Quand vous ne payer pas d’impôt cela ne vous fait aucun effet !
  • Le cinquième concerne également La Réunion. Face à  un tel contexte, pourquoi ne pas envisager une réforme qui prenne en considération les spécificités de notre île ? Difficile vous me direz ! Mais, cela s’est pourtant fait lorsqu’on a voulu favoriser l’arrivée de capitaux ou les investissements à La Réunion à travers la création de plusieurs outils (défiscalisation, TVA-NPR,…). Deux poids de mesures ? Après tout si favoriser l’investissement dans notre île est une façon de la construire, édifier un système d’assurance contre le risque vieillesse qui maintienne la paix sociale est aussi une autre manière aussi noble de construire l’avenir de notre île. Car, des équipements ou des outils industriels sans habitants ou sans consommateurs seraient également inutiles…

Ces cinq éléments n’entendent pas bien évidemment dresser un portrait exhaustif des problèmes posés par l’actuelle réforme. Ils visent à nourrir notre débat. L’économiste que je suis oscille entre la logique économique et la logique sociale. Mais je reste aussi attaché à la stabilité sociétale de mon pays La France et de ma région La Réunion. En fait ces quelques éléments permettent de soulever un couvercle pour mettre à jour les limites associées à une trop grande précipitation à vouloir adopter le projet actuel en l’état, même si répétons nous, la nécessité de « réformer » la France s’impose. Mais cela ne doit pas la conduire à être « réformée » car, disloqué, notre pays verrait sa situation être dégradée. Espérons que les débats qui auront lieu dans les prochains jours permettront de modifier cette réforme pour qu’elle puisse davantage sur le territoire national dans son ensemble comme à La Réunion continuer à garantir une de nos libertés individuelles fondamentales : s’assurer dignement contre le risque de fin d’activité en dernière période de vie.

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