Une crise du feu révélatrice à La Réunion de plusieurs incendies… »La maison brûle et on regarde ailleurs »


La Réunion connaît avec cet incendie d’une ampleur exceptionnelle une émotion particulière au niveau de sa société.

Les réactions fusent de toute part. Les différents moyens de communication traditionnels et plus modernes, comme les réseaux sociaux, se sont emparés de cette situation de crise. La Réunion, comme pour plusieurs autres situations de crises récentes, oscille entre l’inquiétude pour une partie de sa population et l’indifférence pour une autre.

Cela appelle plusieurs commentaires car au-delà de l’évènement, les réactions de la population réunionnaise ces dernières années nous interpellent à l’heure de l’économie 2.0.

D’abord, et d’une façon générale, les différents évènements qui frappent notre île depuis plusieurs années voient leur impact sur la société s’amplifier…Effondrement d’une partie de la falaise de la route du littoral, crise du chikungunya,…Accidents multiples provoqués par les requins, incendies à répétition,…connaissent une diffusion croissante dans la société par l’intermédiaire  des effets de buzz ou de diffusion virale. Il apparaît dès lors étonnant que les autorités ne tiennent pas compte de ce nouveau moyen de sentir l’émotion de la population. A ce jour tout semble comme si l’expression de cette émotion via le web n’était pas prise au sérieux au moins du point de vue émotionnel si ce n’est d’être renvoyée au seul niveau de la polémique.

Ensuite, cette émotion croissante à chaque événement, toute légitime qu’elle puisse être, traduit cette peur qui caractérise de plus en plus nos sociétés en ce début de XXIème siècle. Où  allons nous ? L’absence de réponse claire ; au contraire, les crises à répétition, les incertitudes et les doutes surgissant de contextes stressants alimentent la crainte, les peurs…Nous sommes bel et bien entrés dans les 30 peureuses…après être sortis des 30 piteuses ayant fait suite aux 30 glorieuses.

En outre, certaines déclarations de responsables politiques locaux semblent paradoxales. Ceux-ci appellent à la solidarité, à la non utilisation de polémiques…Mais, ce sont souvent ces mêmes décideurs qui d’habitude en font le plus souvent usage dans une perspective de clivage. Un encart, paru dans la presse locale réunionnaise du dimanche 30 octobre le démontre : deux Présidents de groupements de communes invitent à une réaction solidaire de toutes les forces vives locales mais plutôt que de citer tous les partenaires (y compris le Département ou le T.C.O sur le lequel une grande partie de l’incendie sévit) ils ne font que citer pour le défendre…l’un d’entre-eux, en proie actuellement à de nombreuses difficultés de communication sur sa stratégie. Sur ce plan, la gouvernance politique doit évoluer et cesser de n’être qu’un jeu de manipulations ou de communication. Les citoyens ont évolué. Agir sur les peurs, pour ensuite s’inscrire en protecteur tout azimut, n’est pas une issue de progrès. Oui à la mise en place de réaction solidaire…Mais cela dépasse le seul cadre de l’incendie actuel de la forêt réunionnaise et concerne sans doute l’incendie qui couve parallèlement au sein de la société réunionnaise prise dans son ensemble.

De plus dans ce même cadre, dans ce contexte de gestion de situation ou de communication de crise, les autorités, malgré les déclarations au plus haut niveau local, semblent quelques fois manquer de pédagogie. Certes, il est évident que face à une stratégie de lutte contre ces catastrophes majeures une part d’improvisation existe malgré les nombreux plans de prévention ou malgré les bilans tirés des expériences précédentes. Certes, il peut être compris qu’un examen avantages/coûts sur l’utilisation d’une stratégie invite à retarder l’emploi d’un outil ou à l’éviter. Certes, on comprend que la solidarité nationale s’exprime déjà généreusement avec l’envoi de plusieurs centaines d’hommes et de femmes venus prêter main forte aux forces du terrain à La Réunion. Mais, dans ce monde où la communication va plus vite que la décision, il est impératif d’être transparent. Or, les contradictions demeurent entre les déclarations passées et celles qui sont posées au présent. Par ailleurs, certaines justifications peuvent apparaître comme trop hasardeuses dans un monde où tout est vérifiable par les moyens numériques. Dès lors, l’absence de transparence ou le maintien d’un écran de fumée au sein des déclarations conduit à nourrir la suspicion au sein de la société en recherche de confiance dans cette période de crainte. Cette société est consciente que tout a un coût, que tout exige des délais, que des spécialistes ou des gens de l’art maîtrisent ces situations…Mais la société, à l’heure des réseaux sociaux exige une élévation du niveau d’information, du niveau d’explication…et supportent de moins en moins l’asymétrie informationnelle même s’il faut le consentir l’émotion n’est parfois pas la raison. Néanmoins, parier sur l’ignorance d’une société hyperconnectée, croulant sous les informations aux sources de qualités variables, n’est peut être pas non plus une solution porteuse.

Enfin, cette situation de crispation serait amoindrie si elle n’avait pas lieu dans un contexte de déceptions issues de la façon avec laquelle les collectivités d’outre-mer ont encore aujourd’hui l’impression (je dis bien « l’impression ») d’être évaluées, traitées, ou considérées. Malgré des Etats Généraux de l’Outre-Mer aux grandes promesses, malgré un bilan régulier de ces états généraux fait par les autorités publiques tenant davantage de l’exercice de communication, malgré de récurrentes déclarations de décideurs économiques fustigeant la façon avec laquelle les Départements d’outre-mer sont considérés par l’opinion métropolitaine, malgré la volonté clairement exprimée par les ultra-marins lors des Etats Généraux d’être traités, considérés sur un même pieds d’égalité (au moins dans les médias, les supports documentaires, les moyens et expressions de solidarité,…), force est de constater que cette crise associée aux incendies est révélatrice de la distance qui sépare les promesses de leurs réalisations.

Dès lors, il nous faut progresser car pour faire face aux aléas de la nature (parfois malheureusement déclenchés par la main de l’Homme), un changement de braquet s’impose pour adapter nos réactions aux évolutions de la société et des outils qui la composent. Il en va du maintien de la solidité du contrat démocratique qui nous lie. Cela s’avère également nécessaire pour qu’aucun ne s’empare de la démagogie ou de tout autre moyens pour fragiliser notre société. Les évènements qui, à coté de cette crise de feu majeure pour notre île, éclatent ici et là montrent clairement cette fragilité. Ils mettent en lumière  le fait que, parallèlement à cet incendie de forêt, couvent plusieurs autres incendies sociaux nourris, certes par la crise et ses incertitudes, mais aussi par le refus de voir de notre société ou par des promesses non tenues ou ayant débouchés sur des réalisations décevantes. A l’instar d’un ancien Président de La République, « La maison brûle…et on regarde ailleurs ».

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